feat billie.

JEUDI PREMIER NOVEMBRE. 07H45

Ça aurait du être bien, ça aurait du être la partie du siècle et au lieu de cela, elle se retrouvait perdue au milieu de gens qu’elle ne connaissait pas et d’une morte qu’elle aurait bien voulu connaitre. C’était à n’y rien comprendre, tout bonnement impensable. Pourquoi diable avait-elle acceptée par ailleurs ? Parce que c’était marrant. Ah oui, quelle rigolade, une vraie débandade cette journée. Elle avait fait une journée de bus pour finalement terminer dans un endroit où il n’y avait même pas de toilettes décents. C’était une catastrophe. Armée d’une buche de bois qu’elle avait trouvé dans le coin d’un bâtiment, LJ avait décidé de faire le tour des lieux, certaines d’y trouver une sortie quelque part. Même une minuscule fenêtre, un morceau de grillage découpé, un trou dans un mur, enfin bref, n’importe quoi. Elle avait à peine fermé l’œil, dès qu’elle essayait, l’image des boyaux de la femme éventrée n’arrêtait pas de lui sauter aux yeux. Elle arriverait bien à s’endormir lorsqu’elle serait vraiment épuisée mais déjà que son cerveau ne tournait pas vraiment à mille à l’heure en règle générale, sans ses dix heures de sommeil elle n’était vraiment pas au top. Au détour d’un bâtiment, alors qu’elle sursautait pour la trois centième fois, elle comprit qu’elle n’aurait jamais du s’éloigner du groupe. Ou qu’elle aurait du faire un plan parce que cela ressemblait tout simplement à un grand labyrinthe pour elle. Au bout de quinze minutes, elle abandonna, s’assit en tailleur au sol et attendit que quelqu’un vienne. Elle commençait à penser qu’elle allait mourir de froid lorsqu’une silhouette féminine apparu enfin dans son champ de vision. Bien heureuse de ne plus être seule, elle se releva, sa buche toujours à la main, s’approcha de la brune et l’enlaça lorsqu’elle arriva à sa hauteur. C’était plus fort qu’elle, elle était vraiment contente de ne plus être seule. Trouva d’ailleurs nécessaire de préciser cela dès qu’elle se fut reculée. « Je suis vraiment contente que tu sois là, j’ai vraiment cru que j’allais rester ici jusqu’à la fin des temps. Je suis LJ au fait. Tu savais qu’il n’y avait même pas de toilettes ? » Grande désillusion, elle et sa petite vessie avaient du aller faire un petit tour dans un coin pour se soulager.

Aucun lieu, ici-bas, ne semblait capable d'enflammer de la crainte dans les entrailles de Billie Dahl. Son corps brûlait d'autres passions, autrement plus consumées, et autrement plus macabres également. Elle avait eu le temps de sous-peser quelques regards à son encontre ; il n'y avait pas seulement de la défiance à son égard, mais surtout des soupçons. Parce qu'elle avait cette attitude farouche de ne pas s'offusquer de son environnement, ce devait être inadmissible. Du moins, c'était là le symbole de l'oeillade que Keelan lui avait laissé sur la peau, quelques heures plus tôt. Oui, elle était là, baignant dans son délicieux élément. Ce ne pouvait être autrement. Elle jouxtait déjà si bien cette malsaine démence, bien avant de pénétrer en cet endroit. Elle préférait voguer avec aisance, laissant cette eau noircie filer sur elle comme la meilleure des auras. Aussi fût-il pénible d'expliquer la raison pour laquelle la douce LJ vit la présence de Billie comme rassurante. Certainement parce qu'elle était la seule. Terrible impasse. « Je suis vraiment contente que tu sois là, j’ai vraiment cru que j’allais rester ici jusqu’à la fin des temps. » Elle l'avait étreinte sans que Billie ne juge bon de se dégager. Elle ne la rendit pas non plus. « C'eut été dramatique, bien sûr, lâcha-t-elle pour toute réaction. » « Tu savais qu’il n’y avait même pas de toilettes ? » « Parfaitement dramatique, confirma-t-elle avec détachement. » Pour un peu, il aurait été question d'ironie. Ce dont elle se trouvait parfaitement incapable. « L'urophilie est un vrai passe-temps, reprit-elle en ricanant doucement pour elle-même, mais tu n'aurais pas du feu, plutôt ? » Elle s'écarta à peine, l'affaire d'attraper son paquet de cigarettes. Lui aussi se vidait à vue d'oeil. En vérité, ce devait être les trois dernières. En soi, ça, c'était dramatique.

LJ n’étant pas le genre de personnes à penser qu’elle pourrait venir déranger, elle n’hésita pas une seule seconde avant de se jeter sur Billie. La jeune femme paraissait un peu flippante aux premiers abords, du moins à ce qu’elle en avait vu hier mais au final, tout le monde paraissait plus grand et plus fort qu’elle alors un peu plus ou peu moins. « C'eut été dramatique, bien sûr. » La blondinette hocha la tête, contente que la brune comprenne l’intensité de la situation. Sans elle, LJ aurait peut-être attendue des heures et serait finalement morte de froid. Ce qui était ironique puisque vraisemblablement, elle allait mourir quand même. « Parfaitement dramatique. » Le manque de toilettes était presque aussi terrible que le froid ceci dit et une fois de plus, la brune était sur la même longueur d’onde. « L'urophilie est un vrai passe-temps, mais tu n'aurais pas du feu, plutôt ? » LJ observa Billie quelques instants, les sourcils froncés avant de décider que ça n’avait pas d’importance si elle ne comprenait pas. « Non, non je n’ai pas de feu non. Et c’est aussi bien. Fumer tue tu sais, ils le disent partout. Tout le temps. Et ce n’est pas bien parce que si tu répètes quelque chose de nombreuses fois, ça à de plus grande chances de se produire. » Elle hocha la tête pour approuver son propre raisonnement avant d’y trouver une légère faille. « Enfin, je ne sais pas si ça marche pour tout. Ça marche pour les bébés en tout cas. » Oui, définitivement, si son père le disait cela voulait bien dire que c’était vrai. « Mais peut-être qu’on va mourir ici de toute façon. J’ai cherché des sorties mais je n’en ai pas trouvés pour l’instant. Tu crois qu’on va mourir ? » A force de poser cette question, elle finirait bien par tomber sur un bon samaritain qui lui assurerait que non.

L’irrévocable idée qu’LJ fût incapable de satisfaire ses besoins d’incendies narcotiques confirma le peu d’instinct niché entre les abats sanglants de Billie. Bien que proprement incapable de raisonner en mesure d’utilité, elle convint silencieusement que son errance jusqu’en cette troublante demeure restait vaine. Passable ironie pour une errance. Cependant, son sillage avait effleuré le chemin de cette étrange jeune fille. Quoi qu’on put blâmer Billie de marcher aux côtes de l’existence, LJ ne semblait pas mieux intégrer au décor qui était le leur. Il y avait tant et tant d’incohérences que même l’intellect de la sombre Dahl fût quelque peu interpelé. Juste à peine, il fallait s’en rassurer. Trop peu pour la désarçonner. Bien assez pour la perturber. « Non, non je n’ai pas de feu non. » « Ennuyeux. » « Fumer tue tu sais, ils le disent partout. » « Rébarbatif. » « …si tu répètes quelque chose de nombreuses fois, ça a de plus grande chances de se produire. » Cette fois, Billie sourit. Ce qui ne la dispensa pas de commentaire, néanmoins. « C’est heureux. » Elle prêta vaguement son restant d’attention à la suite du discours. Elle supportait aisément l’idée qu’on lui adressa des mots qu’elle ne convenait pas d’écouter. « Tu crois qu’on va mourir ? » « Ce serait trop demandé, imagina-t-elle davantage pour elle-même. » Il y avait du bon à se complaire dans cette attente funeste. L’angoisse qui baignait les tempes de Billie ne résonnait qu’à l’idée que cela vint trop tôt ou ne vint même pas. Il y avait aussi la manière. Mais elle n’eut pas le goût - finalement plein d’une délicatesse destinée - d’en débattre en l’état. Elle rangea à regrets son paquet de cigarettes, bien décidée à reprendre son chemin, dans l‘espoir certain de trouver quelqu‘un capable de l‘éclairer d‘une flamme bienveillante de cruauté. « Tu viens ? » Ce n'était pas exactement une invitation. Ou une question. Cela ressemblait davantage à une sorte de mécaniqu qui voulait la voir répéter ce que quelqu'un de commun aurait tout à fait dit.