La sobriété était un bien piteux état. Surtout en ce moment même. Dans cet endroit. Ça me tuait, dans tous les sens du terme. J'avais un sentiment de vide en dedans de moi. Peut-être parce qu'il y a seulement quelques heures de cela, j'avais piteusement perdue connaissance dans les bras d'un inconnu. Mon orgueil en avait prit un coup, il n'y avait aucun doute là dessus. La pensé d'être enfermé ici me rendait légèrement folle. Ce n'était pas mon genre de me mettre à crier dans tous les sens et de me cogner la tête sur les murs. Mais je ne me sentais pas très bien. Chacun avait eu une réaction différente face à la situation. Je ne savais où me positionner parmi ces inconnus venant de différents coins du pays. Tout le monde c'était dispersé, cherchant un moyen de foutre le camps d'ici au plus vite. Je ne cherchais pas vraiment. Je marchai nonchalante, les mains dans les poches de ma veste de couleur lila, regardant les lieux, me souvenant que j'avais choisi de venir ici. Que j'avais même été excitée par la venue de cet événement. Je ne m'attendais pas à tout cela par contre. J'ouvris finalement une lourde porte, ce qui me demanda tout mon énergie. Faiblement, j'avançai dans la sombre pièce, me rendant compte du vide de celle-ci. Rien. Il n'y avait plus rien à l'intérieur, même si des odeurs de gaz me laissait deviner que je me trouvais dans un ancien garage. Si mon amie Rosie avait été avec moi, elle aurait surement chercher une canisse d'essence, histoire de se péter le cerveau avec cette délicieuse odeur. Je ne le ferais pas. J'avais assez badtriper pour aujourd'hui. Ne trouvant plus de force pour continuer à avancer, je me laissai tomber contre le sol crasseux, décidant de me fermer les yeux et de réfléchir. Ou d'oublier. C'est alors que j'entendis des pas, quelqu'un faisait son entrée. Je n'étais pas nerveuse, bien qu'un léger frisson traversa ma colonne. Les yeux toujours fermés, toujours dans la même position, j'osai m'adresser à l'inconnu. «J'ai un couteau et je n'oserai pas à vous trancher la gorge si vous vous approchez de moi. » C'était complètement faux. Et alors ?

Si la pénombre lui dessinait des charmes d’autant plus monstrueux, Billie s’était avancée dans la pièce, nue de toute hostilité. Son pas de velours rompu par la cadence de ses talons, elle était même entrée sans l’idée d’y entrevoir quelqu’un. Douce illusion quand l’on songeait aux vingt-trois inconnus parcourant ce délicieux laboratoire humain. Pour un peu, l’angoisse aurait pu gagner son foie, s’étendre jusqu’à l’intestin et dévorer la rate. Mais ce n’était pas une telle crainte qui empruntait ses chairs. « Volontiers. » Son timbre obscur se dégageait comme une nuée de vapeur sulfurique. A peine de circonstances, d’une certaine façon. Par la suite, elle se découpa un peu mieux dans la pénombre environnante, et discerna à son tour la silhouette recroquevillée sur le sol. « Je ne dois pas approcher, c’est bien ça ?… » Evidemment, elle fit encore un pas. Qui fût suivit d’un autre. De nouveau. En vérité, elle fût bientôt plus proche que ce n’était, de toute façon, déjà permis par la sacrosainte civilisation retenue en dehors de ces murs. Oui, Billie surplombait sa menaçante inconnue d’une hauteur sensible au mètre. « Il vient, ce couteau ? » Détrompez-vous, elle ne se targuait d’aucune provocation. Elle était seulement là, à jamais devant l’accompli de chaque fait. Que la mort vienne. Que la douleur la prenne, et la submerge. Dieu même ignorait comme elle l’attendait, l’accueillerait avec un rien d’extase dans l’antre de ses abjects supplices. Billie était d'un froid meurtri sensible à aucun autre. Bien sûr, elle était sans commune mesure. Il y avait plus d'une femme, à son image, sillonnant la terre sans jamais se faire remarquer. Mais elle était là, exposé, viscères tout pour le ciel et le putride de la terre même. Il n'y avait aucune possibilité de dissimuler cette horreur. Bien que présente, elle pouvait être tolérable. Mais pour si peu de gens, en somme. En effet, Billie était comme un affront que l'on se voit inlassablement cracher au visage. Elle ne pouvait cesser. Elle ne cessait jamais. Quand même lui aurait-on laissé le choix.

« Je ne dois pas approcher, c’est bien ça ?… » J'avais presque l'impression de discerner du sarcasme dans voix. Mais je n'en étais absolument pas certaine. Elle n'avait pas l'air d'avoir la frousse. Mon plan avait échoué lamentablement alors. Mais je me devais d'avouer que j'étais rassurée d'entendre une voix féminine. Je m'étais attendu à une voix de meurtrier sanguinaire. Ou pas. Ouvrant finalement les yeux, je vis la dites femme au dessus de moi, me regardant. Je me sentais presque intimidée. Je dis bien, presque. « Il vient, ce couteau ? » C'était une bonne question, tout de même. Je ne savais pas vraiment quoi répondre par contre, puisque j'avais évidemment mentit. Me relevant légèrement, je plissai le nez, cherchant quelque chose à dire. « J'ai dit couteau ? Vraiment ? J'ai du me tromper de mot… » répondis-je enfin, me trouvant terriblement idiote. « C'était de la légitime défense par la parole… J'avais peur que tu sois un tueur en série, tsé. » ajoutais-je en passant une main dans mes cheveux entre-mêlés. Je ne savais pas si j'avais réellement envie d'avoir une conversation avec cette inconnue à 3h00 du matin. J'aurais surement préféré dormir dans mon lit. Mais non, ça n'arrivera plus, tout ça. «Mais bon… Si tu y tiens, je peux aller chercher un couteau et te découper en morceau. J'offre la charité, tu vois.. » Je puais le sarcasme, vraiment.

Aucun provocation, Emma aurait pu s’en rassurer. Billie se contentait de demeurer, inlassable. Ce fût la raison pour laquelle elle ne s’offusqua ni du mensonge ni du sarcasme, autant de flots coulant sur elle sans jamais l’atteindre pour autant. Il n’y avait pas à s’en défendre. Il s’agissait d’une nature. Autant la jeune femme l’aurait-elle attaqué, autant Billie se serait laissée faire. Instinct de survie crashé sur zéro. « Si tu y tiens, je peux aller chercher un couteau et te découper en morceaux. » « A ta guise, répliqua la trentenaire en se détournant d’elle. » Ce peu de conversation lui faisait autant de terribles effet que le diazépam dans un monde de valium. Elle n’était pas venue là pour s’entretenir avec quelqu’un. A vrai dire, elle n’était pas véritablement venue là non plus. Billie avait doucement erré depuis un lieu qu’elle avait complètement omis, poussant les portes les uns après les autres, et ainsi jusqu’ici. « L’idée de la base militaire, c’est franchement classique, reprit-elle en l’absence d’une moindre transition. De l‘amateurisme, quelque part. » Loin d’elle l’idée de provoquer, à jamais. Encore une fois, elle partait d’un constat, d’une évidence, quelque chose qui n’était dit que pour le bon plaisir de l’entendre. Et rien d’autre. Elle ne s’arrêtait guère, comme l’on détaille vainement un objet qui n’en mérite pas tant. « C’est sombre, clos, empli d’individus névrosés. Franchement classique, oui. Ça m‘échappe complètement, conclut-elle en se tournant vers la jeune femme. » A l’air qu’elle prit, Emma aurait pu comprendre qu’elle n’avait cessé de se parler, omettant complètement la présence de quiconque. D’où son ultime remarque. « …et tu es ? »