Elle tournait en rond, comme une bête en cage. Andy longeait les murs du hangar en se demandant pourquoi elle s’était réfugiée dans cet endroit. Il n’y avait plus rien dans ce garage, si ce n’est, quelques débris oubliés par terre. Elle donna un coup de pied dans un essuie glace en mauvais état et l’envoya balader au centre. Il fallait qu’elle réussisse à penser positivement. La situation n’était pas si désespérée. Après tout, elle était seule, désarmée, sûrement surveillée par un potentiel meurtrier et ne pensait qu’à une seule chose, s’évader de cet enfer.. Elle n’aurait pas dû venir. C’est ce qu’elle ne cessait de se répéter en boucle depuis le début de cette soirée. Elle n’aurait pas dû quitter le taxi qui l’avait emmené ici. Le chauffeur aurait doublé son prix en la ramenant à New-York, et Andy, elle, serait probablement endormie dans son véhicule. En sécurité. Surtout en sécurité. Elle continua de longer les murs. Ça devait bien faire la cinquième fois qu’elle faisait le tour complet du hangar. Bras croisés contre sa poitrine, à attendre on ne sait quoi. Un signe, un bruit, n’importe quoi qui aurait pu la sortir d’ici. Elle se stoppa net. Attendant enfin des bruits au dehors. Finalement, elle n’aurait pas dû espérer en attendre. Elle l’avait pensé tellement fort, que ça avait fini par se réaliser. Elle arrêta de respirer et ferma les yeux. N’entre pas, n’entre pas. Elle sursauta en attendant la porte qu’elle avait fermé en entrant bouger. La new-yorkaise réagit instantanément et courut un centre pour récupérer le reste d’essuie glace. L’empoignant fermement entre ses mains. Seul objet qu’elle pouvait se servir comme une arme. Elle fixa la porte s’ouvrir et soupira en reconnaissant la personne entrer. Elle abaissa sa pseudo arme, elle ne risquait rien. L’homme qui venait d’entrer était l’efféminé qui avait failli faire une crise cardiaque pendant qu’elle était en train de s’extasier devant du sang quelques heures plus tôt.

Présentement, je n'avais besoin que d'un café. Accesoirement d'un gun, d'un pass vers la sortie et de beaucoup de chance, mais le café passait avant tout, même si j'avais beau détester ça; j'étais exténué, littéralement. Habituellement, je dormais un minimun de huit heures par nuit sans compter les bonus de dix heures par week-end: inutile de stipuler qu'une nuit blanche passée à arpenter Fort McArthur avait largement contribué aux splendides cernes violettes qui se dessinaient progressivement sous mes yeux. Si ce n'était la fatigue, le fait de tourner en rond était en train de me rendre totalement dingue. Depuis que nous étions tombés sur le cadavre crucifié à l'entrée, hier soir, je sondais chaque recoin des bâtiments sans relâche à la recherche d'une hypothéthique sortie: le maître du jeu était loin d'être con et avait pris soin, bien entendu, de ne nous laisser aucune issue. A la sortie de ce qui me semblait être les anciens dortoirs militaires; je tenterais de passer sur les morceaux de crânes et autres os que j'avais pu y trouver; je m'étais dirigé vers un immense bâtiment sans étage, décrépi et devant lequel était garé de vieilles carcasses de tanks, toujours armé de ma fidèle lampe torche qui avait fini par fusionner avec ma main tant elle m'était nécessaire. Je m'avançais à pas se voulant furtif, finissant tout de même par faire un boucan digne de ce nom: si le loup avait été là, la tête serait probablement déjà loin. Mon pouls s'accéléra. Je m'immobilisais, balayais le hangar d'un coup de lampe: à quelques mètres de moi, sur ma fauche, une jolie brune armée d'un essuie-glace qui faisait partie du casting de joeurs et qui s'était d'ailleurs amusé à tripoter la fille crucifiée. Elle sembla me voir, lâcha son arsenal de fortune: des nerfs ou par simple amusement, j'éclatais de rire. Pas mal l'essuie-glace, non, franch'ment, t'aurais pu me démonter la gueule avec! En fin de compte, tomber sur elle m'avait permis de, l'espace d'un instant, relâcher la pression. Je m'approchais d'elle, lui tendant ma main droite, me frotant les yeux de l'autre et tentant de calmer mon fou rire. C't'un rire nerveux, tu m'excus'ras. Moi c'est Ty, enchanté. Il y avait certes plus galant comme manière de saluer une jeune fille, mais au demeurant, je n'étais pas vraiment la pour me la raconter: dans un premier temps, je devais d'abord sauver ma peau.

Andy soupira, laissant tomber l’essuie-glace à ses pieds. Son cœur était sur le point de lâcher et lui, il riait. Elle avait presque eu le temps de voir sa vie défiler sous ses yeux. « Ça m’fait pas du tout rire. Je me suis crue dans Scream. » Elle venait enfin de se rendre compte que ce hangar n’avait vraiment rien de rassurant. Son idée, qu’elle avait trouvé bonne en premier, pour rester au calme, n’avait rien de lumineuse. Si elle n’était pas aussi sûre de l'inoffensivité de son compagnon d'infortune elle se serait méfiée et n’aurait pas lâché son arme improvisée. Qui en fait, ne lui aurait servi à rien du tout. Elle prit la main du dénommé Ty dans la sienne pour la serrer. « Andy. Enchantée aussi.. Même si j’aurais préféré te rencontrer dans d’autres circonstances. » Elle soupira. Dans une autre vie, sans Rabbit Doubt par exemple. Ce qui aurait été beaucoup trop beau pour être vrai. Elle le détailla de haut en bas un instant avant de lâcher sa main. « J’te préviens, » commença-t-elle en le fixant, « je n’hésiterais pas à m’en servir si tu essayes de m’éventrer. » Référence à l’essuie-glace sur le sol. Comme menace, elle aurait nettement pu trouver mieux. Mais à ses yeux, c’était la plus crédible. À mains nues, même avec quelqu’un comme ce Ty en face d’elle, elle n’aurait pas été capable de se défendre pendant très longtemps. Elle n’aurait même pas tenu trente secondes. Avec un semblant d’arme, elle espérait dépasser la minute. Oui, elle visait haut. C’était bien la seule chose qu’elle pouvait faire à cet instant.

Ça m’fait pas du tout rire. Je me suis crue dans Scream. Agréable, sérieusement, une vraie douceur. Situation terrifiante ou pas, la gentillesse n'était pas optionnelle: à mes yeux en tout cas. Certes, le cadre garage/outils sanglants/vieux débris n'était pas franchement accueillant et chaleureux, mais tout de même. En même temps, qui, ayant un loup affamé à ses trousses, aurait eu l'idée de se réfugier dans un endroit comme celui-ci, seul qui plus est? La belle ne pouvait s'en vouloir qu'à elle-même. Soit. Je m'approchais, lui serrais la main d'un geste incertain: je ne l'avais encore jamais fait, aussi loin que puisse remonter ma mémoire. Andy. Enchantée aussi.. Même si j’aurais préféré te rencontrer dans d’autres circonstances. C'clair que la situation n'est pas la meilleure qui soit, mais bon, vaut mieux relativiser et s'dire qu'on sortira bientôt d'ici. Car c'était vrai, j'allais encore de l'espoir quant à notre possible survie: il suffisait simplement d'être plus malins que le loup. J’te préviens. Elle brouilla le fil de mes pensées, je la regardais le visage dur et la tête inclinée comme le faisait les gosses; une habitude comme une autre. je n’hésiterais pas à m’en servir si tu essayes de m’éventrer... dit-elle en désignant un essuie-glace. Je la fixais, fixais l'objet, la refixais, puis retenais un éclat de rire dans un gloussement retenu. Sérieux, est-ce que j'ai vraiment la gueule du tueur? J'pense qu'il doit y avoir plus crédible qu'moi dans le rôle du grand méchant loup, donc t'as pas franch'ment d'soucis à t'faire. J'allais enchainer avec une autre phrase, mais un craquement dans le fond du hangar attira mon attention: aux aguets, je m'approchais doucement d'Andy et, à mon grand étonnement, réussis à lui murmurer quelques mots. S'tu veux mon avis, on f'rait mieux d'se tirer vite fait d'ce coin, ça m'inspire pas confiance.

Sortir bientôt d'ici, c'était bien le but d'Andy. Elle refusait encore d'accepter l'idée qu'elle puisse finalement mourir ici. Elle s'était réfugiée dans ce hangar pour trouver un moyen de s'échapper, mais sa recherche avait été vaine. Elle n'était pas plus avancée qu'avant son entrée dans celui-ci. C'était même encore pire. La new-yorkaise esquissa un léger sourire face à la réaction de Ty. Il avait raison, depuis le début, elle pensait qu'il n'avait rien à voir avec ce carnage. Mais évidemment, elle ne pouvait pas s'empêcher de se méfier. « T'as peut-être bien raison, » répondit-elle en haussant les épaules. Quand elle entendit un bruit dans le fond du hangar, elle sursauta. Jetant un regard inquiet dans le noir. Elle sursauta une nouvelle fois quand Ty lui murmura quelques paroles à l'oreille. Tournant la tête vers lui pour le dévisager suspicieusement. Elle resta silencieuse quelques secondes, attendant de voir si quelque chose se passait. Mais après un bref silence elle murmura à son tour : « on devrait peut-être aller voir.. Non ? » Un nouveau craquement se fit entendre et Andy laissa échapper un petit cri. Non, il était finalement hors de question qu'ils aillent inspecter les lieux. Elle attrapa le poignet de Ty et l'entraîna avec elle en dehors du hangar. Refermant brutalement la porte derrière-elle. D’ordinaire, elle savait garder son calme. Elle ne se laissait pas guider par ses émotions. Mais cette nuit, son taux d'adrénaline maximum avait été dépassé depuis un bon moment. « Je vais finir étouffée avant d'être éventrée. » Elle s'appuya contre le mur pour reprendre sa respiration. Ne pouvant pas s'empêcher de rire. Un rire franc qui venait la tirer de cette situation. Depuis son arrivée ici, c'était bien la première fois qu'elle arrivait à relativiser.

Dans un sens, je ne savais si j'avais présentement peur pour ma vie ou pas. La situation était alarmante et effrayante par dessus le marché, certes, mais un homme était-il réellement capable de tuer vingt-quatre personnes à l'origine venues pour prendre du bon temps, et ce sans remords? Ma naïveté m'amenait à penser que non: pourtant, notre monde renfermait bien des horreurs, et celle que nous étions en train de vivre en était une preuve parfaitement tangible. Je regardais Andy, manifestement perturbée par le craquement qui venait de se faire entendre: même si j'étais d'apparence calme, mon cerveau me hurlait de m'enfuir. On devrait peut-être aller voir... Non? Toi, reste là, j'vais voir. File-moi ton essuie-glace, sait-on ja- Un second craquement me coupait dans mon élan de courage. J'entrepris d'attraper la main de la jolie brune pour l'inciter à me suivre vers la sortie, mais elle me devança en saisissant vivement mon avant-bras: je n'étais désormais plus le seul à être littéralement horrifié par la situation. Je m'immobilisais dans un premier temps mais fus vite entrainé par la poigne on ne peut plus puissante d'Andy qui nous attira vers l'extérieur en moins de temps qu'il ne m'en fallut pour ne m'en rendre compte. De l'air frais plein les poumons, nous soupirions d'un même ton, tous deux soulagés d'être enfin à l'extérieur et de ne plus avoir à subir la pression de ce hangar miteux. La jolie brune en fut tellement soulagée qu'elle éclata d'un rire franc, fou rire dans lequel je la suivis bien volontiers. Nous décompressions, à notre manière, certes. Mon hilarité fut néanmoins bien brève: gêné par un objet sous mon talon, je soulevais le pied et tentais d'identifier la chose: une main, sanglante et détachée de tout corps. PUTAIN D'MERDE! D'un bond, je me jetais sur le mur face à moi, haletant au côté d'Andy qui ne semblait pas avoir encore vu le pourquoi de ma réaction. J'vais péter un cable là, c'est quoi c'putain d'bordel?! Je me frottais le visage, tremblant. Mon coeur s'emballait, je shootais dans la première caillasse à porter de mon pied: changement de donne, je craignais désormais sérieusement pour ma vie.

Andy se calma rapidement, ayant réussi à reprendre correctement ses esprits. Heureusement que Ty avait été là. Si elle avait été seule dans le hangar quand les craquements c’étaient faits entendre, elle aurait sûrement fait une crise cardiaque. Elle serait restée bloquée sur place, incapable de sortir de cet enfer toute seule. La présence du jeune homme avait eu plus d’impact qu’elle ne l’aurait imaginé. En l’entendant jurer, elle tourna la tête vers lui, arquant un sourcil face à sa réaction. La new-yorkaise posa sa main sur sa bouche en voyant l’objet de sa nouvelle panique et prit une grande inspiration. Essayant tant bien que mal de rester calme. Ty, lui, ne semblait pas réellement capable de le faire. Si elle devait endosser ce rôle, elle allait le faire. Elle se décolla du mur et le voyant en train de trembler, elle se posta devant lui. Lui attrapant ses deux bras entre des mains. « On se calme, ça va aller, » dit-elle en essayant d’être le plus crédible possible. Ce qui était beaucoup plus facile à dire qu’à faire. Le voir paniquer, ne l’aidait pas, c’était même le contraire. Elle avait toujours été celle qui faisait preuve d’un trop grand self control. Elle était celle qui gardait toujours son sang froid, dans n’importe quelle situation. Mais ici, c’était beaucoup plus dure qu’elle ne l’aurait imaginé. « On ne va pas mourir. » Mensonge. Andy n’avait aucune idée de si ils allaient mourir ou non, elle commençait même à croire que la réponse à cette question était positive. Mais ce qu’elle voulait en priorité, c’était le faire redescendre sur terre. « Paniquer ne servira à rien. » Elle le fixa quelques instants. Instants qui lui parurent des heures. Elle se recula finalement, se collant à côté de lui. « On va tous mourir, » finit-elle par dire en cédant au désespoir.

En vingt-quatre ans, je n'avais jamais vécu de drame: aucun proche ne m'avait à ce jour quitter, je n'avais encore jamais mis les pieds dans un hopital et les blessures les plus graves que mon corps avait pu connaître, ce ne furent que de vagues égratignures sur les genoux dûes à mes sessions de skate parfois foireuses. Mon existence avait toujours été rose, parfaite, sans accro: j'avais une expérience de la vie digne de celle d'un gamin de six ans, et je n'avais manifestement pas conscience des conséquences que cela pouvait avoir sur mon quotidien. Cette partie grandeur nature m'avait appris une chose: la peur. Car oui, pour la première fois de ma vie, cette main ensanglantée à mes pieds, j'étais terrorisé. J'étais prisonnier de mon monde, et plus aucun signe extérieur ne m'atteignait, même les paroles se voulant rassurante d'Andy, que je ne comprenais qu'après quelques longues secondes de réflexion. J'étais certes ridicule, mais je ne pouvais faire autrement. On va tous mourir. Comme une piqure d'adrénaline, cette remarque me fit brusquement revenir à la réalité: je me redressais, évincais mes yeux vitreux au profit d'un regard bien plus vif, et me postais face à Andy. Non, dis pas ça ma belle, t'as raison, on n'mourra pas. Si on refuse de mourir, même le Maitre du Jeu n'pourra pas nous buter. Faut pas baisser les bras et aller contre c'putain d'loup et lui faire la peau nous même. On a pas perdu, alors j't'en pris, n'abandonne pas la partie maintenant. On est t'jours en vie, non? Pour adoucir l'atmosphère, je lui souriais de toutes mes dents. Car oui, même si je craignais pour nos vies, j'avais encore un certain espoir qui ne demandait qu'à se réaliser. Allez viens, on s'tire de c'coin, histoire d'se rapprocher des autres. Et sans lui demander son avis, j'attrapais sa main et l'entrainais à ma suite, nous éloignant de ce hanger miteux: mieux valait éviter tout risque, nous n'étions tout de même pas suicidaires.