Raclant la poussière avec ses pieds, Lysander s’arrêta près d’un précipice, plutôt incliné. Il songea qu’il aurait été facile pour un meurtrier de le pousser dans le dos, l’expédiant ainsi dix mètres plus bas. Machinalement, il jeta un regard par-dessus son épaule, avant de tirer un paquet de cigarettes de sa poche. Il n’y avait personne aux alentours, et fumer une clope était devenu un besoin vital, après les derniers évènements. C’était complètement fou. Comment avait-il pu se retrouver dans une telle situation ? Bordel de merde. Le visage déformé par la terreur de la fille crucifiée lui revint en tête. Un frisson parcourut son échine. Pourtant, il en avait vu des horreurs, là-bas, en Afghanistan… Lysander avait préféré fuir la cohue du groupe, énervé par les pleurs et les cris. Il avait conscience que c’était dangereux de partir seul, sans arme. Mais il s’en fichait, il était assez grand pour se défendre, il n’avait pas l’âge ni l’expérience de ces gosses. Et puis, si quelqu’un déboulait armé, il n’aurait qu’à sauter dans le ravin, point barre. Il s’était progressivement éloigné de la base, s’enfonçant petit à petit dans le désert. On apercevait encore les grandes bâtisses du fort, néanmoins devenues minuscules avec la distance. Le domaine s’étendait à perte de vue, il faudrait des jours pour pouvoir l’explorer en entier. Il se rappela soudain le paquet qu’il tenait dans sa main. Il l’ouvrit, constatant avec désarroi qu’il ne restait qu’une dizaine de clopes à l’intérieur. Il avait encore un autre paquet dans son sac resté au fort, mais il devait tout de même faire attention à sa consommation. Son sac. C’était idiot de ne pas l’avoir emporté avec lui, après tout, il ne connaissait pas ces gens. N’importe qui pouvait le dérober en toute discrétion et piller ses maigres ressources. Songeant à sa bêtise, Lysander porta une cigarette à ses lèvres, poussant un soupir par la même occasion. Il l’alluma avec un briquet resté dans la poche arrière de son blue jean, puis profita du délicat arôme des feuilles de tabac. Putain, qu’est-ce que ça faisait du bien. Soudain, sans prévenir, il sentit une présence derrière son dos. Le battement de son cœur amplifia légèrement. Lentement, il se retourna, découvrant à qui il avait à faire. « Merde, tu m’as foutu les boules. » lança-t-il dans un rire nerveux.

Passant la main dans ses cheveux ondulés qu'elle n'avait pas pris la peine de coiffer, Raisa attrapa sa sacoche et sortit des dortoirs, après avoir été reposé un semblant d'affaire après avoir pris une longue douche, histoire de se sentir moins sale, comme pour laver et effacer tout ce qu'il s'était passé la veille. Les cheveux encore un peu humides et en bataille, elle sortit du bâtiment et se dirigea vers l'entrée du fort pour rejoindre les alentours de la bâtisse dans l'optique d'aller faire un tour dans la zone aride qui entourait le fort qui leur servait de repère désormais. Besoin d'air, besoin de souffler, besoin d'être seule et tranquille. Il fallait tout de même dire que vivre avec toutes ces personnes réunies n'était pas une mince affaire. Raisa a toujours eu l'habitude d'être la seule adulte, ne vivant qu'avec sa petite soeur et son petit frère qu'elle élève tant bien que mal, supporter autant de personnes différentes et toutes plus folles les unes que les autres est donc un vrai supplice pour la belle. C'est d'ailleurs sans doute cette solitude qui lui vaut cette force morale et ses épaules solides aujourd'hui, bien que son exil de l'Europe à l'Amérique lors de la persécution des juifs, accrochée au bras de sa mère, a dû y être pour quelque chose également. Raisa s'enfonçait dans le désert, de son habituelle démarche assurée, laissant ses cheveux flotter derrière elle au fur et à mesure de ses pas. Dans un réflexe humain, elle chercha dans sa sacoche de cuir brun après son portable, elle prit la peine de checker ses messages ainsi que le réseau. Nada. Toujours aucun réseau ici. Franchement celui qui avait manigancé toute cette supercherie - qui devenait réellement plus flippante qu'une simple farce - était totalement maniaque et avait tout calculé dans les moindres détails. Elle aperçut soudain au loin la silhouette d'un homme, sans doute un de ses congénères mais elle n'avait pas encore rencontré tout le monde. Ce dernier était au bord d'un précipice, elle crut même un moment qu'il allait sauter, dans un geste purement lâche pour éviter d'endurer cette mascarade morbide. Elle arriva derrière le fumeur qui venait de laisser s'échapper de la fumée toxique de sa bouche. Raisa eut un rictus de dégoût à l'odeur de la drogue. Elle s'était posée tellement gracieusement derrière l'homme qu'elle n'avait fait aucun bruit, même pas un bruissement. Elle avait cette souplesse et cette grâce féline depuis sa naissance, comme le lui avait toujours dit sa mère. L'homme, sentant sans nul doute une présence se retourna vivement et marmonna dans un rire indescriptible qu'il avait eu la frousse. La jeune femme le regarda d'un regard interloqué. « Si je te fais cet effet-là, tu dois te pisser dessus devant tous les spécimens réunis là-dedans » dit-elle, perplexe, en désignant le fort de son index. Gardant son sérieux tout en disant quelque chose de drôle, Raisa sourit alors enfin, d'un petit air innocent. « Raisa » dit-elle à l'adresse du fumeur, tout en tendant sa petite main fragile vers le jeune homme.

Une jolie jeune fille, pas plus âgée que sa petite sœur, lui faisait face. Elle paraissait petite et menue, mais quelque chose dans son regard semblait démontrer le contraire. Ses cheveux d'un blond terne lui tombaient en cascade sur ses épaules. Même si n'importe qu'elle adolescente de son âge aurait été effrayée par la situation dans laquelle ils se trouvaient, elle, au contraire, affichait une mine plutôt calme et déterminée. Lysander resta à la fixer pendant un moment sans dire un mot, ni prendre la peine de se retourner complètement vers elle, se contentant de porter sa cigarette à la bouche et de recracher la fumée. Elle fut la première à briser le silence qui s'était installé, lui faisant clairement comprendre qu'il était de nature peureuse. Il ne releva pas, préférant ne pas être vulgaire. Après quelques instants, il détourna son visage au loin, revenant à sa position initiale, attendant que la jeune inconnue vienne se placer à ses côtés. Il lui semblait qu'elle lui avait indiqué son prénom, seulement, il n'en était pas sûr. Son esprit s'était égaré en cours de route, le rendant complètement évasif, ce qui était un paradoxe, compte tenu des récents évènements. Rosa. Ce devait être quelque chose du genre. « Tu sais, c'est très imprudent de se promener seule, par les temps qui courts. Tu ferais mieux de retourner avec les autres. » déclara-t-il entre deux bouffées de cigarette. En vérité, il ne le pensait pas vraiment. Au contraire, il se sentait plus en sécurité à cet instant précis, alors qu'il était au beau milieu d'un terrain désert, que quand il se trouvait au milieu des autres. « Ou bien, tu peux rester là, à contempler ce paysage. C'est comme tu veux. »

Le fumeur ne daigna pas répondre à la poigne de main de Raisa, quoiqu'elle n'aurait pas été violente de la part d'une petite main aussi fragile que celle de la jeune fille. Il ne daigna pas non plus se présenter, se retourna de façon à se remettre face à son joli précipice et tourna le dos à la jeunette. Raisa attendit et resta plantée derrière lui un moment. Pas question de s'approcher de ce précipice, un faux mouvement et elle se retrouvait cent mètres plus bas avec les os fracassés. Le bel homme prit alors la parole en certifiant à Raisa qu'il était dangereux de se promener dans une telle situation, qu'elle ferait mieux de retourner au fort. What a joke. Puis il proposa une autre option, continuer à regarder ce magnifique paysage qu'offrait la région. Meilleure idée. Raisa fit mine de réfléchir une seconde puis afficha une mine satisfaite et décidée dans un petit sourire. « Je crois que je vais opter pour la deuxième option, c'est plus.. sûr. Enfin j'veux dire plus prudent. » La jeune fille se rapprocha tout de même de son camarade de jeu tout en restant un peu derrière lui mais à sa droite, de manière à ne pas être trop près du bord de la pente raide. Ses cheveux flottaient quelque peu à cause des bourrasques de vent qui parcouraient le désert tandis qu'elle jeta son regard sur le visage de l'homme qui se tenait à côté d'elle. « Et puis l'option deux me permet de contempler également, en plus d'un magnifique paysage, un jeune homme plutôt mignon. » Elle souria, pas le moindre gêne sur son visage, cette remarque était sincère.