En peu de temps pour le dire, la soirée avait carrément tourner au cauchemar. En même temps, à quoi m'attendais je en répondant à cette invitation mystérieuse ? En me rendant dans cet endroit glauque, de mon propre chef ? Pourquoi diable avais je franchi ces grilles ? J'aurais dû écouter mon instinct, et faire immédiatement demi tour. Mais non au lieu de ça, comme tout le monde, je m'étais avancé dans cette demeure. Curiosité et goût du risque à la con. Dire qu'en ce moment même, je pourrais être peinard, chez moi, avec ma fille. Mais à la place je me trouvais piégé dans un scénario digne d'un mauvais film d'horreur de série B. Comme si cela ne suffisait pas, j'étais coincé avec une belle brochette de dingues, complètement inutiles. La première moitié semblait trop effrayée pour penser et agir clairement, quant à l'autre moitié, je ne vous en parlais même pas... C'est à l'asile qu'ils devraient plutôt se trouver. Ou alors ils ne se rendaient pas encore compte de la gravité de la situation, et à ce moment là ils prendront peut être enfin les choses au sérieux. Une chose est sure, je ne faisais confiance à personne. Traitez moi de parano mais je préférais considérer chaque personne présente dans ces lieux comme un potentiel suspect, plutôt que de ne pas être méfiant, et me retrouver à me faire poignarder dans le dos.
Tout le monde s'éparpilla peu à peu une fois le choc initial passé. M'éloigner de toute cette agitation me semblait une bonne idée. Surtout de ces idiots encore en train de s'activer autours du cadavre, probablement en train de prier ou de chanter des psaumes, que sais je. Ils pourraient danser nu autour du corps en invoquant un quelconque dieu que ça ne m'étonnerait pas tiens. Je pénétrais dans un grand bâtiment, le B à en croire la lettre qui ornait le dessus de la porte. Et qui se trouvait à mes côtés ? La brune qui voulait coucher avec moi et qui se comportait de manière plus qu'étrange.  « Tu n'as plus décidé d'attendre patiemment ta mort ? » J'ouvris alors la porte menant à une très grande pièce.  « On dirait un hôpital » constatais je.  « Au fait, t'as un nom ? Non pas que ça m'intéresse vraiment, mais c'est histoire de savoir quoi dire lorsque la police m'interrogera et que je te nommerais comme suspect. » Oui oui je suis drôle.

La situation avait changé. Après de longues minutes, muées peu à peu en heures, d’agonie morale, ils avaient fini par pénétrer dans l’enceinte même du fort. Les chemins s’étaient d’autant mieux dispersés. Il y avait les fuyards. Les curieux. Les inventifs. Les désespérés. Les attentistes. Chacun sillonnait les couloirs dans un but qui lui était propre, du plus logique jusqu’au plus insensé. Sans commune définition, Billie avait, elle aussi, emprunté un chemin parmi d’autres, probablement plus par instinct que par arbitre. Malgré elle, elle finit même dans les pas de Keelan, cet homme odieux de suspicion mais délicieusement attirant pour une poupée articulée. Si elle avait surpris les regards qu’il lui jetait - à elle comme à beaucoup d’autres, cela dit, elle n’avait pas pris la mesure de s’en offusquer. Elle ne le faisait jamais. Et cela lui fût fort utile quand l’on considérait le comportement qu’il eut à son égard. Guère surprenant, à dire vrai. « Tu n'as plus décidé d'attendre patiemment ta mort ? lui lança-t-il avec son trop plein d’arrogance. » Elle le scruta à peine, comme s’il avait été une des multiples voix qu’un schizophrène aurait eu grand plaisir à entendre. Le précédant même, elle passa la porte de sa voix ténébreuse. « Il y a un temps pour attendre, et un autre pour provoquer. » Réplique tirée d’un film dont elle se souvenait à peine. Elle eut même un moment de latence pendant lequel elle s’interrogea sur les raisons qui l’avaient poussé à répartir de la sorte. Finalement, elle convint que cela n’avait pas plus d’importance que de savoir si cette vaste pièce était bien un hôpital, ou simplement leur prochain mausolée. L’idée fût momentanément séduisante, cependant. « Au fait, t'as un nom ? Non pas que ça m'intéresse vraiment, mais c'est histoire de savoir quoi dire lorsque la police m'interrogera et que je te nommerais comme suspect. » Aussi soudaine qu‘avait été cette attaque, Billie se retourna vers lui, entravant vaguement son passé. Elle le dévisagea, visiblement plus présente qu‘elle ne l‘avait été depuis le début de ce long chemin de croix. Elle se répéta encore ses propos. « Au fait, t'as un nom ? Non pas que ça m'intéresse vraiment, mais c'est histoire de savoir quoi dire lorsque la police m'interrogera et que je te nommerais comme suspect. » « Je suis charmée, rétorqua-t-elle, enfin. » Elle s’en détourna aussi vite, progressant indépendamment de son sens inné des relations humaines. Cela ne composait pas l‘avis de Billie qui, elle, avait comme l‘air de nager dans des eaux plus troubles. « J’ai une photo, chez moi, qui ressemble à ça… »

« Il y a un temps pour attendre, et un autre pour provoquer. » Oui bien sur. Je n'essayais même pas de comprendre ce qu'elle me racontait, tant elle même semblait ailleurs. Mais j'obtins soudainement son attention lorsque je lui demandais son prénom. Elle se retourna pour me dévisager. Oui ? Sa réponse se faisait attendre. Je ne savais pas que cela demandait une intense réflexion de se présenter. « Je suis charmée » Hein ? Mais qu'est ce qu'elle racontait encore ? Sa phrase était aussi soudaine et hors contexte, comme celle qu'elle m'avait balancer tout à l'heure, quant au fait qu'elle désirait coucher avec moi. Peut être faisait elle de l'ironie, ou alors était elle vraiment charmée. Mais par quoi ? Moi ? L'environnement ? Impossible de comprendre ce qui se tramait derrière sa petite caboche. En tout cas, elle ne sembla pas le moins du monde encline à me dévoiler son identité. Peut être voulait elle garder le mystère, comme si on en avait pas déjà suffisamment. Mais bon j'allais pas la harceler pour connaître son prénom, après tout je m'en souciais peu, ce n'est pas comme si c'était une information cruciale. « J’ai une photo, chez moi, qui ressemble à ça… » Voilà qu'elle tenait encore des propos bizarres. Décidément tout ce qui sortait de sa bouche semblait provenir d'une dimension parallèle.  « Tu as une photo chez toi qui ressemble à un hôpital abandonné ? » demandais je perplexe. J'essayais de comprendre ce qu'elle racontait. Je doutais qu'elle ai un cliché d'un tel endroit. A moins bien sur qu'elle ne soit déjà venue ici auparavant. « Je n'aimerais pas aller en vacances avec toi. » Si ça ressemblait à ça les lieux dans lesquels elle trainait. J'ouvris quelques tiroirs des étagères, fouillant, peut être trouverais je quelque chose d'utile. Je tombai sur des pansements, quelques bandages, de l'alcool à bruler... Le matériel nécessaire des premiers secours.

Keelan n'eut pas l'air de comprendre. Keelan n'avait pas l'air de comprendre grand-chose en dehors de son petit monde étriqué à base de famille, de travail et de métro, selon Billie. Elle lui trouvait un petit air de candeur bien de ce monde, à dire vrai. En cela, il devait être charmant. Oui, d'une certaine façon. Mais non, elle n'aspirait pas réellement à coucher avec lui. Ou alors lui comme un autre. Il était là, elle aussi, c'était bien suffisant pour une femme de la trempe de Billie Dahl. C'était dire qu'il ne lui suffisait que d'un peu de choses pour subsister sans peine. Cependant, ce n'était pas pour maintenant. Keelan était trop plongé dans sa détresse et son besoin de retourner les lieux. « Tu as une photo chez toi qui ressemble à un hôpital abandonné ? » « Ne fais pas l'idiot, rit-elle doucement (comme s'il y avait pu avoir quelque chose de comique dans un propos tout ce qu'il y a de plus banal). » Elle cessa un moment ses contemplations pour se tourner vers lui, activé qu'il était à ouvrir armoires et tiroirs en quête d'on-ne-sait trop quels objets qu'elle affectait de superflu. « ...ça ressemble à un bar d'Atlanta que j'ai photographié. » Elle parut réfléchir quelques secondes. « Ce qui me rappelle que le type des toilettes ne m'a jamais rappelé. » Mieux valait continuer d'ignorer ce qu'il s'était passé dans les wc sordides de l'Upper Irish, un soir de novembre. Ce devait être aussi intéressant qu'un bon porno d'huîtres. Et aussi répugnant, à vrai dire. Comme de partir en vacances avec elle, d'après Keelan. « Je ne pars pas en vacances. » Non, Billie ne ressentait aucun besoin de fuir le quotidien. Il était souffrant, et souvent fastidieux, mais elle savait exactement y mettre le sel nécessaire. Mais toutes ces informations n'étaient clairement d'aucune utilité à Keelan. « Une fois, j'ai couché avec un assistant légiste, à Salt Lake, le genre pédé sur dix générations qui se refoule. C'était franchement sympathique. » Tout ça, non plus, ne lui était d'aucune utilité.

Billie se mit à rire suite à mes propos. « Ne fais pas l'idiot » Et bien, je ne savais pas que mes paroles étaient si drôle que ça. Mon pouvoir comique était plus fort que je ne le croyais, j'arrivais même à être drôle quand je ne l'étais pas. Ça où elle avait une case en moins. J’opterais plutôt pour la deuxième solution, surtout au vu de la suite. « ...ça ressemble à un bar d'Atlanta que j'ai photographié. » Je n'osais pas imaginer la tête de ce bar, s'il ressemblait réellement un temps soit peu à cette pièce, bonjour l'ambiance morbide. « Faudra que tu me donnes l'adresse, ça à l'air d'être un lieu charmant. » répliquais je ironique. D'ailleurs voilà qu'elle me précisa que le type dans les toilettes ne l'avait jamais rappelé. Intéressant. Très utile dans la situation actuelle de savoir ça. « On se demande pourquoi » Un mec censé je dirais. Dans le rayon, information très utile, j'appris que la brunette ne partait jamais en vacances. Pourquoi le ferait elle ? Sa vie avait l'air hautement passionnante. D'ailleurs, elle décida de m'en faire partager un autre bout, quelle générosité. « Une fois, j'ai couché avec un assistant légiste, à Salt Lake, le genre pédé sur dix générations qui se refoule. C'était franchement sympathique. » Mais qu'est ce que j'en avais à foutre sérieux ? Elle se payait ma tête ce n'était pas possible. Est ce que je lui racontais les détails de ma vie sexuelle ? La demoiselle était d'une complètement inutilité. Ce n'était certainement pas sur elle que je pourrais compter afin de nous sortir de là. D'ailleurs avait elle vraiment envie de s'en sortir ? Elle semblait complètement résignée à son sort, ou plutôt s'en foutre royalement. « Passionnant. Maintenant que je sais ça, je crois que je peux mourir en paix. » Non non je ne me foutais pas d'elle. Pendant ce temps je continuais à fouiller dans les tiroirs. Je trouvai une lampe de poche, ce qui pourrait m'être utile, alors je la fourrai dans mon sac. « D'autres confidences à partager ? Peut être comment tu as perdu ta virginité ? Ou le nombre de conquêtes que tu as eu ? » Évidemment je ne voulais absolument pas connaître la réponse à ses questions. « Je suis sur que ça pourra nous aider pour nous tirer de là. »