ft. maureen

Nenad n'avait presque rien mangé depuis près de vingt-quatre heures, pourtant il ne ressentait aucune sensation de manque ou de faim quelconque au creux de son ventre. Celui-ci était noué depuis la veille, une boule dont il avait fini par s'accommoder s'était en effet logée en son centre à la découverte du cadavre et ne semblait pas vouloir désemplir depuis. Après sa rencontre avec Ty, qui était parvenu à le troubler plus qu'à l'apaiser comme il s'en serait douté en croisant le chemin du jeune homme aussi nerveux que lui, il regagna le fort où il continua de faire son tour, en solitaire. Le soleil était à son zénith et la chaleur était étouffante sur les lieux, bien plus encore qu'hier ou le jour où il avait attérit sur le sol américain. Il ne comprenait pas ce changement de température soudain, mais il devinait que ce phénomène n'était en rien curieux dans une région aussi désertique que celle-ci. Tout en marchant l'esprit plus ou moins léger entre les bâtiments de briques abandonnés, il déboucha sur la place que formaient ces derniers, et où se dressait une estrade. Une jeune femme y était installée, Nenad n'aurait su dire si elle bronzait ou ne faisait que réfléchir, encore était-il que le premier cas lui serait sûrement inutile étant donné qu'elle était noire. Il s'approcha sans réelle discrétion, ne tenant pas à l'effrayer, et tâcha de lui sourire avec grand peine au moment où son regard croisa le sien. « Salut. » Il ne savait que dire de plus, si ce n'est qu'il était désolé qu'elle soit impliquée dans cette affaire si jeune.

Le soleil était au rendez-vous ce midi. C’était agréable de lézarder un peu. Maureen avait réussit à faire fonctionner les douches, et avait fait sa toilette avec de l’eau froide, youpi. Mais en tout cas, elle était propre et bien fringuée, heureusement qu’elle avait ce gout si prononcé pour la mode et que son sac extra-large pouvait contenir une bonne partie de sa garde robe et pleins d’autres trucs inutiles. Bref, le soleil rendait la jeune femme un peu moins paniquée, voir même complètement relaxé. Après tout, il fallait prendre tout cela au second degré. Bon, au seizième degré alors. Maureen prenait donc le soleil. Tout aurait pu être bien mieux si elle avait été allongée sur une chaise longue et non pas sur une estrade conçu pour pendre des gens. D’ailleurs c’était marrant, il y avait même la corde qui pendait. Ca faisait un peu d’ombre à Maureen, c’était toujours ça. Et puis ça faisait du bruit aussi, lorsque le vent entrainait la corde à valser, c’était distrayant. Un peu morbide, mais… L’américaine était en mode humour au seizième degré. Alors qu’elle trainassait, elle entendit des pas. En plein jour, cela faisait déjà beaucoup moins flippé. Un peu quand même. Heureusement qu’une voix se manifesta assez rapidement. Un salut banal. « Salut. » Répondit-elle à son tour avant de lever la tête en direction du gars. Elle posa alors l’une de ses mains sur son front, en visière, pour se protéger du soleil. « T’as quoi au visage ? » Demanda-t-elle simplement, ne sachant trop si c’était les rayons du soleil qui lui jouaient un tour ou bien s’il avait autre chose. Dans ces cas là, valait mieux demander.

Nenad fronça les sourcils de surprise face à au culot de la demoiselle, qui ne tarda pas à lui demander ce qu'était réellement la balafre qui lui taillait la joue. Cette question eut le mérite de le sortir de ses pensées macabres et pessimistes. Il eut comme un mouvement de recul, rieur, et s'avança sans un mot vers la potence où il grimpa. Ainsi installé à ses côtés, il leva les yeux au ciel et tourna aussitôt le visage vers Maureen, complètement ébloui par les rayons du soleil. « Je me suis battu dans un bar quand j'avais dix-huit ans. Cette cicatrice est le malheureux souvenir d'une bouteille de vodka explosée contre ma joue. Ne sous-estimes jamais le pouvoir d'une bouteille, quand on te dit que l'alcool assomme ce n'est pas des paroles en l'air. » Il haussa les épaules à ce souvenir, ne préférant pas s'étaler sur ces quelques années de galères qu'il avait enchainé avant son départ pour le Japon. Non pas qu'il en avait honte, non, mais il avait bel et bien peur d'ennuyer la jeune femme avec son récit. Sa beauté singulière lui avait permis de voyager et de finalement gagner de l'argent, mais il n'en restait pas moins très fier du parcours qu'il avait eu jusqu'à maintenant, considérant qu'il avait fait le nécessaire pour sa survie et qu'aucun garçon de son âge n'aurait été capable d'autant. Balançant doucement ses pieds d'avant en arrière, il laissa son regard se poser sur la corde derrière eux, et un frisson lui parcouru l'échine tandis qu'il imaginait le corps de Maureen y pendre. L'autrichien préféra alors fermer les yeux et se re-concentra sur la demoiselle en question. « Tu as un style particulier. » En effet, ses vêtements étaient très colorés. Tenue tout sauf circonstanciée dans leur situation actuelle. Il l'observa longuement. « Quel âge as-tu? Je peine à croire qu'une fille comme toi ait pu un jour s'intéresser au Rabbit Doubt. »

Maureen n’avait pas vu qu’il s’agissait d’une cicatrice, néanmoins alors qu’il s’approchait plus d’elle, elle eu le loisir de la contempler. Bon, au moins ce n’était pas un restant de nourriture dégueulasse ou que savait-elle encore, il avait, dans un sens, de la chance. S’installant à ses côtés, il ne mit pas bien longtemps avant de lui répondre qu’il s’était fait cela à cause d’une bagarre dans un bar. Esquissant un sourire, la demoiselle observa un instant un peu plus son visage, avant de tourner les yeux et de regarder droit devant elle. « Ce n’est pas si impressionnant que ça, alors. J’ai une cicatrice sur le genou, ça au moins, ça fait froid dans le dos quand je raconte l’anecdote. » Plaisanta-t-elle. Le soleil les frappait de son meilleur rayon, Maureen en profita pour donner en offrande son visage déjà bien foncé. Il n’empêche qu’elle bronzait assez bien, l’avantage était qu’elle ne connaissait pas ce qu’était un coup de soleil. Et c’était bien mieux, comme ça elle avait une raison de se foutre de la gueule de ces idiots qui trainent au soleil sans protection. Bien fait pour leur gueule. Bref, Scar – en espérant qu’il soit plus sympa que l’oncle de Simba – lui dit ensuite qu’elle avait un style particulier. Elle se contempla un instant de trop, surement. « Un peu coloré peut-être ? Mais ouais, j’avoue, j’suis bonne. » L’américaine se mit à glousser un instant, qu’est-ce qu’elle était drôle ! Quoique, elle pensait vraiment être ravissante mais l’avouer haut et fort, c’était autre chose. « J’ai vingt-sept ans. L’âge presque parfait pour mourir, hein. » Elle se tut un instant, elle ne savait pas vraiment à qui elle avait à faire. « C’est une blague, le premier qui me tue, je le bute. » Que ce soit clair. « Pourquoi tout le monde me dit ça ? Une bombasse peut bien jouer à un jeu sur son portable, non ? » Humour, bis, bref. « Puis attends, regard toi ! T’as rien du mec qui s’intéresse à ce jeu non plus. T’as quoi ? Une trentaine d’années – un peu plus ? Je voudrais pas te vexer- et t’es du genre à te battre dans des bars. Le cliché geek vient de s’effondrer avec nous deux, je te signale. » Esquissant un sourire, il fallait que Maureen arrête de juger comme ça. Ou pas, c’était si bon et franchement, ça ne faisait de mal à personne.